Aujourd’hui, nombre de professionnels de santé sont en attente quant au développement de la santé connectée, laquelle n’est d’ailleurs pas encore ou presque enseignée en formation initiale. Pour autant, les futurs professionnels de santé – notamment les étudiants en soins infirmiers – se forment déjà via des outils numériques à leur futur exercice professionnel. Le point à l’occasion de la 12e édition de l’université d’été de la e-santé qui s’est déroulée début juillet à Castres (81) sur le thème de l'intelligence appliquée en e-santé et qui a rassemblé près de 800 participants, dont près de 20 % issus de l’étranger.
Si de nombreux pays – développés mais aussi en voie de développement – ont déjà fait le grand saut de la santé mobile (télémédecine, objets connectés, applications de télésuivi et d'e-coaching…), d'autres peinent encore aujourd'hui à l'inclure pleinement dans leurs systèmes de santé et… de formation. C'est notamment le cas de la France pour des raisons multiples pointées une fois encore à l'occasion de la dernière université de la e-santé : résistances culturelles, manque de données probantes montrant l’efficacité des nouveaux outils/dispositifs/applis créés, contraintes réglementaires et organisationnelles, gouvernance numérique éclatée, manque de financement et de soutien des tutelles, intérêts divergents des acteurs impliqués, absence de business model robuste (au moins 30 % de start-up)...
La formation aux outils/dispositifs numériques
Le manque, voire plutôt même l’absence de formation des professionnels de santé à la santé connectée y est aussi pour beaucoup. En effet, celle-ci n’est pas enseignée au cours des études médicales. Elle ne l’est pas non plus dans les cursus de formation des paramédicaux et administratifs
1. Et c'est bien là aussi que le bât blesse car la formation (initiale et continue) est bel et bien un préalable à l’usage des outils numériques en santé. Un exemple avec la téléconsultation (cf. encadré). Elle nécessite ainsi d’abord de former le prestataire de santé à la manière de se vêtir (pas obligé de porter une blouse blanche), de s’asseoir, de parler devant une caméra, de préparer la consultation, de vérifier la bonne compréhension du patient… sachant qu’il doit s’agir du même genre d’expérience qu’en cabinet
a souligné Kathleen Frisbee, directrice de la santé connectée au Département américain des anciens vétérans lors d'une table ronde consacrée à la formation des professionnels de santé aux outils numériques. De son côté, le Dr Boris Hansel (hôpital Bichat, AP-HP), a déploré le manque de lisibilité au niveau de ce qu’il faut enseigner. […] C’est à nous, universitaires, de créer des polycopiés, d'enseigner ce qui est connu (en 2e cycle des études de médecine), de l’intégrer dans les modules de diabétologie, de cardiologie, de gériatrie…
Pour autant, cela évolue sur le terrain. Implanté dans un territoire reconnu comme écosystème "numérique et santé" particulièrement actif et attractif, l’Ifsi de Castres est plutôt proactif en la matière. Grâce à une étroite collaboration avec l’école d’ingénieurs informatique et systèmes d’informations pour la santé (Isis), l’Institut propose depuis deux ans un cours (de 4h) sur les différentes transformations de la e-santé. L’objectif pédagogique est d’accompagner le virage numérique et de ne pas s’y opposer
a expliqué Hervé Pingaud, professeur des universités au sein de l’école Isis. Un diplôme universitaire de pratique de santé connectée a en outre été créé l'an passé à l’université Paris-Diderot… Cette année, la première promotion a rassemblé plus de 120 personnes, dont 25 % d’infirmières
a indiqué le Dr Hansel, directeur du DU. Et de constater : 90 % de ce qui est proposé dans la santé connectée ne répond ni aux besoins des patients ni à ceux des professionnels de santé
. Pour éviter cela, cette formation multidisciplinaire vise à leur apprendre, ainsi qu’aux juristes, personnels administratifs, start-upers, informaticiens inscrits, à travailler ensemble autour des aspects juridiques, techniques, éthiques, économiques liés à la santé connectée…
. Une approche collaborative qui se révèle indispensable dans ce contexte.
Autre formation multidisciplinaire à signaler également, le 1er DIU national de télémédecine DPC validant de France intitulé "Une approche globale de la télémédecine" et mis en place depuis deux ans par l'université de Bordeaux en collaboration avec cinq autres universités. D'autres formations DPC validantes à la carte sont par ailleurs dispensées par la Société française de télémédecine (SFTélémed) ; un Mooc e-santé a aussi été initié avec l’association Formatic santé.
L'acculturation des soignants à la e-santé est en cours
Généralisation de la télémédecine
Si la France doit encore rattraper son retard en matière d'e-santé, cette 12e édition de l’université d’été de la e-santé a montré que petit à petit des freins sont levés. Le pays est en train de passer à la vitesse supérieure, notamment cette année avec la généralisation de la télémédecine. Après plus de 10 ans d'expérimentation, cette pratique médicale fondée sur le recours aux nouvelles technologies va en effet être généralisée sur le territoire national, passant ainsi dans le champ conventionnel. Plus précisément, la téléconsultation, une des deux catégories d'actes créées, et qui permet de simplifier l’accès à un médecin pour des patients rencontrant des problèmes de mobilité
1, va ainsi peu à peu devenir une pratique médicale quotidienne dès le 15 septembre prochain.
Sur le plan technologique, celle-ci repose sur deux exigences : d’une part, le recours à un échange vidéo – exigé par la loi, pour garantir la qualité des échanges entre le médecin et le patient via une très bonne résolution d’image – et, d’autre part, la connexion à une solution sécurisée, une exigence essentielle dans la mesure où la téléconsultation fait transiter des informations à caractère médical dont la confidentialité doit être protégée. Concrètement, c’est le médecin qui va envoyer un lien au patient, l’invitant à se connecter vers un site ou une application sécurisés, via son ordinateur ou une tablette équipée d’une webcam. Les patients qui n’ont pas d’accès à internet, ou qui ne sont pas à l’aise avec ces technologies, pourront être assistés par un autre professionnel de santé équipé, comme un pharmacien ou une infirmière venant à domicile, deux professions en contact très régulier avec les patients. Sur conseil de son médecin, le patient pourra également se rendre dans une cabine de téléconsultation installée à proximité. Ce type de cabine offre l’avantage de disposer d’appareils de mesure (poids, détermination de l’indice de masse corporelle et d’examens facilitant le diagnostic (tensiomètre, stéthoscope, fond d’œil, otoscope pour lecture des tympans). Ces cabines sont déjà actuellement en cours de déploiement dans les maisons de santé, pharmacies ou autres lieux publics, facilement accessibles aux patients
.1
Quant à la télé-expertise, autre catégorie d’acte créée, elle permettra à un médecin, à compter de février 2019, de consulter un confrère afin d’échanger sur le cas d’un patient
. Contrairement à la téléconsultation, cette pratique qui existe déjà mais de façon informelle et non tracée, n’exige pas un échange avec de la vidéo. C’est un échange en direct ou en différé entre deux médecins, via une messagerie sécurisée. Déjà utilisée par 50 % des praticiens libéraux, elle permet d’examiner le dossier d’un patient, en disposant des données médicales utiles (clichés, tracés, analyses) transmises au confrère
1. Elle sera d’abord réservée aux patients en affection de longue durée (ALD), atteints de maladies rares, résidant en zones dites sous-denses et dès lors qu’ils n’ont pas de médecin traitant ou rencontrent des difficultés à consulter rapidement, résidant en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou dans des structures médico-sociales ainsi qu’aux détenus, avant d’être élargie à tous les patients à partir de 2020. À noter, ces nouvelles pratiques s’étendront progressivement à d’autres catégories de professionnels de santé, en commençant par les infirmiers et les pharmaciens
.
1- "Généralisation de la télémédecine en France", communiqué de l'Assurance maladie, 15 juin 2018.
La formation par les outils/dispositifs numériques
Du reste, si en France la formation des professionnels de santé à la santé connectée est loin d’être encore entrée dans les mœurs, celle par les outils numériques est en revanche bien une réalité. Ces derniers peuvent aider dans des mises en contexte et améliorent les apprentissages
remarque Hervé Pingaud. Ainsi en est-il de la simulation en santé, désormais obligatoire dans la formation initiale des infirmiers
2 et qui, outre un debriefing des pratiques, offre un avantage pédagogique indéniable en permettant aux étudiants de mieux retenir une séquence de formation grâce à l’expérimentation. Un dispositif notamment particulièrement utilisé avant les stages afin de remobiliser les connaissances. L’objectif est de permettre aux étudiants de travailler sur des situations de soins réelles tout en ayant la possibilité de faire des erreurs. On peut créer des situations courantes mais aussi plus rares
, note Nancy Quenor, formatrice à l’Ifsi de Castres. Et d’ajouter : Le centre de simulation de Castres propose trois chambres – d’hébergement/lieu de vie, hospitalière et d'un plateau technique – ainsi qu’une salle de soins attenante où les formateurs interagissent derrière des vitres sans tain et font parler selon divers scénarios possibles des mannequins. […] Les ESI – mais aussi les soignants en exercice – sont très demandeurs, très à l’aise avec la simulation. Il y a très peu de résistances.
Un bémol toutefois : le côté chronophage de l’outil pour les formateurs.
Autres outils numériques utilisés en Ifsi : les serious games. D’ailleurs, un jeu sérieux associé à la compétence 9 du référentiel infirmier liée à l’organisation et à la coordination des interventions soignantes va démarrer à la rentrée prochaine. Placé sous la coordination de l’ARS Occitanie, ce projet, qui doit durer 3 ans, implique 11 Ifsi de la région
précise le formateur de l’école Isis qui collabore au projet.
Des living labs3 spécialisés en e-santé ont aussi émergé sur le territoire national. Ces nouveaux lieux propices à la co-création et à la co-conception de solutions innovantes, portent des projets fondés sur des démarches participatives réunissant prescripteurs, développeurs et usagers. Ils sont notamment ouverts à la formation continue des soignants. Notons cependant comme l'a rappelé le Dr Fouad Marhar, PH anesthésiste-réanimateur au CHU de Toulouse et formateur au sein de l’Institut toulousain de simulation en santé (ItSims), que tout ne peut pas être digitalisé dans les contenus de formation ; il reste l’interaction entre humains pour approfondir les choses
. Au final, on retiendra que l'acculturation des soignants à la e-santé est en cours.
Valérie HEDEF
Journaliste
valerie.hedef@orange.fr
Notes
- In document de présentation du DU santé connectée.
- Inscrite dans les textes réglementaires depuis 2009-2010.
- Notamment le Connected Heath Lab d’Isis à Castres.
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