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CONCEPTS DE SOINS

Concepts de soin - La responsabilité

Publié le 08/10/2012

L’histoire de soin qui suit, intitulée « Le fœtus sur le bord de la bassine en fer », pourtant vécue il y a trente ans, m’interpelle encore aujourd’hui. La reviviscence d’un moment de soin très éloigné et complexe et l’apport en philosophie des cinq figures de sens du concept de responsabilité permettent de montrer le haut niveau d’intrication entre responsabilité et acte de soin.

Cet article est extrait de l’ouvrage de Philippe Gaurier intitulé « De l’accompagnement du Soigné au Soignant », paru aux Éditions Losange en novembre 2011.

Cet ouvrage, témoignage et appel à la reconnaissance du métier infirmier dont le geste premier est «â€ˆprendre soin du prochain » est le troisième de l’auteur, cadre supérieur de santé, chercheur mais aussi rédacteur d'Infirmiers.com.

Mission humanitaire, 1981, Somalie, Camp de réfugiés, Bourdoubo A. Mes collègues, un médecin et deux infirmières pas encore levés, ni réveillés. C’est surprenant… C’est donc seul que je me dirige vers le mini-hôpital situé à quelques centaines de mètres de notre lieu traditionnel d’habitation. Les quelques pièces préfabriquées sont là devant moi, comme posées au milieu du désert. Elles seules témoignent du lien avec la modernité. Cette structure sanitaire comprend une grande salle de soins, une petite salle de réserve et une autre pièce d’hospitalisation. Mais bien souvent, l’activité se situe dehors, en plein air. Même Nur, notre « infirmier local », ne vient pas au devant de moi ce matin. Cette aube est différente. J’entre dans la salle de soin, à ma gauche. La pièce n’est pas rangée comme je l’ai laissée hier soir.

Il y a eu sans doute de l’activité cette nuit. Je suis surpris, a posteriori, que l’on ne m’ait pas appelé. Je comprends mieux maintenant. Mes trois collègues ne se sont pas levés d’aussi bonne heure ce matin parce qu’ils ont travaillé, en partie, cette nuit. Je vais donc participer à mon tour et ranger. Ranger plus que je n’imagine.

En effet, la petite bassine en fer, qui nous sert habituellement de poubelle, par terre, est maintenant, posée là, sur la paillasse de soin. Son contenu est troublant, il n’y a pas que des compresses sanglantes, quelques pansements sanglants, et un placenta, il y a sur le grand rebord arrondi de la bassine en fer, hors des déchets, incliné, la tête vers le bas, les jambes vers le haut, pendantes vers l’extérieur, un fœtus. Sa morphologie peut surprendre, mais elle ne m’est pas inconnue. Elle ressemble aux prématurés dont je prends soin depuis deux ans en réanimation néonatale où j’exerce habituellement en France. C’est donc un accouchement qui a tenu mes collègues éveillés cette nuit. Un accouchement sans doute difficile pour qu’ils aient laissé les choses en l’état. Il n’y a pas beaucoup d’accouchements sur le mini-hôpital… pour diverses raisons. Il y a sans doute dans le camp des femmes accoucheuses et les parturientes, on peut l’imaginer, ont d’abord recours à elles quand tout va bien. De plus, il y a peu d’opportunité d’être enceinte dans ce camp. En effet, il n’y a quasiment que des femmes, des enfants et des vieillards. Tous les mâles en âge de se reproduire sont aussi en âge de se battre, et tous les mâles en âge de se battre ont été enrôlés. Enfin, les conditions de malnutrition sont telles qu’elles sont extrêmement défavorables à une grossesse. J’imagine que pour cause de dénutrition, beaucoup de femmes n’ont plus leurs règles. C’est donc exceptionnel ce qui s’est passé cette nuit. Et il fallait que l’accouchement se passe particulièrement mal pour que l’on amène la future maman à finir d’accoucher au mini-hôpital.

Comme un petit miracle... mais...

Je papote, je papote, mais quelque chose s’est produit dans cette salle. Quelque chose a bougé. Et ça recommence. Le fœtus a bougé. Est-ce dû à un réflexe post-mortem parce que j’ai touché la bassine ou est-ce parce qu’il est en position instable ? Non, ce fœtus n’est pas mort. Il « gaspe »1 En fait, il évacue par spasme le liquide amniotique qu’il a inhalé. Ce fœtus laissé pour mort est vivant. Il est « simplement » noyé et sa position transversale, déclive, les pieds en l’air, la tête vers le bas, orientée vers le centre de la bassine, draine le liquide amniotique qu’il a inhalé vers sa bouche, puis vers l’extérieur. À chaque soubresaut, il en expectore un peu. Plus une seconde à perdre. Il faut l’aider. Je l’enveloppe dans mon maillot de corps, et en route vers mes collègues. Ils sont sans doute réveillés maintenant.

La situation n’est pas facile… Ce fœtus était laissé pour mort… Et au petit matin, il est vivant dans les mains de l’infirmier qui n’a pas travaillé cette nuit.

Nous ne déciderons que cet après-midi… Pour l’instant, j’ai la charge de stabiliser la situation, puis d’aller faire tourner comme tous les jours le centre de réalimentation… des centaines d’enfants attendent, eux aussi.

Je lui fais donc une toute petite toilette, a minima. Je prends la température, 35° C environ ; son poids, peut-être 1.200 grammes. Je la couvre un peu (c’est une fille)… dans les heures à venir, il fera extrêmement chaud. Un petit aller et retour avec une sonde gastrique pour vider l’estomac… au cas où… Pas d’alimentation, le risque de fausse route est trop élevé. Il faut qu’elle continue de vider ses poumons. Une petite boîte lui servira de lit. Et je la confie à Nur, notre super infirmier. J’ai rarement vu quelqu’un apprendre aussi vite que lui et surtout prendre autant d’initiatives. Dès qu’il sait, il refait, il refait inlassablement… On peut compter sur Nur. Nur sourit, Nur rigole. Quelle que soit la conjoncture, Nur affiche sa bonne humeur. C’est incroyable cette capacité qu’il a à « relativiser ». Il est à la fois extrêmement consciencieux et « au-delà », comme « au-dessus ». Je peux compter sur Nur, comme il sait qu’il peut compter sur moi, sur nous.

Il faudra nous décider… si elle vit encore...

Dans l’après-midi, il faudra nous décider… si elle vit encore. Est-elle prématurée ? Est-elle un petit poids ? Y a-t-il un peu des deux ? Qui plus est, la maman n’est plus, elle n’a pas survécu. L’après-midi venue, quelle décision prendre. Le bébé est très faible. Les principales décisions sont prises par défaut.

Je saurais la perfuser, c’est dans mes compétences, j’ai appris. Mais nous ne disposons pas des nutriments parentéraux nécessaires à son alimentation et des règles spécifiques de calcul. Enfin et surtout, dans l’état actuel de la situation, nous ne pourrions pas tenir à moyen ou long terme cette décision. Je suis seulement chargé de lui faire passer quelques millilitres de glucose.

Je saurais la gaver aussi longtemps que nécessaire, mais nous avons décidé de ne pas gaver les enfants. Nous sommes ici pour mettre en œuvre des résolutions de problèmes qui pourront continuer après notre départ. Ce sont des choix… éthiques. Comment faire ici et maintenant avec les moyens dont nous disposons et les moyens dont ils disposeront après notre départ. On a du lait en poudre, on a de l’eau, on a du sucre, du glucose… je pourrais la gaver, mais ce n’est pas la décision de l’équipe…

Nous avions aussi décidé, comme nos prédécesseurs, de ne pas nous lancer dans des alimentations ou réalimentations par biberon, car là aussi, nous savons que ce n’est pas dans leur usage et qu’ils ou elles ne pourraient pas à terme nettoyer correctement les biberons, être approvisionné et avoir les moyens d’acheter du lait maternisé… Mais nous ne sommes pas avec une maman à qui l’on dirait tout cela. Nous sommes entre nous, seulement entre nous…

Par ailleurs on pourrait demander à une autre maman de lui donner à téter, on a les moyens financiers d’assurer cette « prestation », mais les mamans du camp capables de répondre à cette demande n’ont pas de lait pour deux bébés. Elles n’en ont déjà pas assez pour leur propre enfant. Bien sûr, la « nourrice choisie », rémunérée, bénéficierait d’une meilleure alimentation... bien sûr mieux nourrie… Mais cela semble malgré tout difficile, surtout à mettre en œuvre tout de suite, là maintenant, car il ne faut pas oublier que les minutes passent, les heures passent, et à ne rien faire...

Et si l’on réussit à la maintenir en vie, quel est son avenir ? Personne dans le camp ne l’adoptera. Pas dans la conjoncture où les mamans n’ont même pas assez de nourriture pour alimenter leurs propres enfants. Alors elle deviendra la « mascotte » du camp. L’enfant des MSF… tant qu’on sera là… mais après. Et puis est-ce une vie que de naître et de grandir dans ce camp ? Bien sûr, les défenseurs de la vie à tout prix n’hésiteraient pas à dire oui. Mais moi, en mon âme et conscience, je dis non. Ce gigantesque camp semble plus mort que vivant, et que personne n’ose dire que je renonce. Je n’autorise personne… Il est vrai que j’ai facilement le verbe haut. Cela fait des années que je dis qu’il n’est pas nécessaire de faire des enfants puisqu’il y en a plein à adopter. Il y a plein d’orphelins. Il est vrai que je n’ai pas non plus rencontré une femme avec qui je souhaiterais avoir un enfant, des enfants… En attendant, dans ma tête, ma décision est prise. J’adopterai cette enfant s’il le faut. Comment ? Est-ce possible ? Est-ce raisonnable ? Est-ce… Peu importe. Si elle vit, nous verrons, je verrai. En attendant, il faut qu’elle vive. M’occuper d’enfants, je sais faire. C’est mon travail, c’est ma « spécialité », je travaille en pédiatrie ! Il y a des biberons dans notre réserve. Je les ai vus. Nous avons du lait en poudre demi-écrémé, du sucre. Ce n’est pas du lait maternisé, mais tant pis. Nous avons de l’eau filtrée, un produit décontaminant pour les biberons. Je sais langer les enfants même sans couche jetable. Je me ferai aider pour laver les bouts de drap ou de chiffon qui lui serviront de couches… Il faut juste qu’elle tète et ça, je sais faire. Je n’ai pas fait que de la réanimation néonatale. J’ai aussi fait plusieurs mois en néonatologie. Je me souviens des 6, 7 même parfois 8 repas par jour. Je passais mes journées à faire téter les bébés et à les changer ! L’équipe est d’accord.

Allez, Philippe, au boulot !
Je sais faire. Il faut juste que tu tètes. Et je vais « tout » essayer avec le biberon, juste avec la tétine, en ouvrant la tétine plus largement pour que cela demande moins d’effort. Je vais même un peu appuyer sur la tétine et prendre le risque - inadmissible - de la fausse route. Mais rien n’y fait. Tu ne tètes pas. Tu es trop fatiguée. Tu es trop petite. Tu n’as pas encore acquis le réflexe de succion. Tu as froid. Tu ne régules pas ta température. Tu es une vraie prématurée. Et moi, je ne suis qu’un infirmier. Je ne suis pas un réanimateur. Et nous ne sommes pas en France, en réanimation néonatale.

Je vais essayer à de très nombreuses reprises. Allez, un peu, juste un peu. Je crois en toi. Je crois en moi. Juste un peu. Rien qu’un peu. Tu vas mourir si tu ne tètes pas… Et puis tu es partie, toi aussi. Tu n’étais plus sur le rebord d’une bassine en fer. Mais tu es restée sur le rebord de la vie, sans y entrer vraiment. Tu es restée au bord de ma vie.

Avant de te remettre entre les mains de Nur, pour que tu sois enterrée, j’ai imaginé que ta famille aurait voulu que tu entres dans la « Communauté musulmane ». Alors j’ai prié en son nom le seul Dieu que je connaisse, dans l’espoir qu’il soit le Dieu de toutes les religions passées, présentes et à venir.

Ces deux jours passés avec toi restent ancrés dans ma mémoire, dans ma mémoire de bénévole, dans ma mémoire de soignant, dans ma mémoire d’infirmier, dans ma mémoire d’homme et de père maintenant.

Éclairage par le concept de responsabilité

Au-delà de la réalité du moment de soin, c’est bien la responsabilité ressentie par le soignant qui est ici développée. Par la suite, un lien est tissé avec la fonction d’encadrement et l’engagement dans la profession. Ce moment de soin, comme d’autres, questionnent le soignant, l’interpelle dans sa pratique, l’ancre dans sa responsabilité. « Pendant longtemps nous avons cantonné la responsabilité à nos intentions. Être responsable, c’est avoir de bonnes intentions, agir en conséquence »2. Bien sûr « être responsable, c’est avoir de bonnes intentions » et « agir en conséquence ». Mais tu n’as pas tété. Tu ne t’es pas réchauffée. Tu n’as voulu choisir entre le camp de réfugiés, ce camp de morts en sursis, et une trop hypothétique adoption. Tu es partie le lendemain vers cette cinquième saison, me laissant seul vivre et revivre les autres… et plus de 30 ans après, la responsabilité pèse toujours. Pourquoi ?

Dans son cours de philosophie, Frédéric Gros, professeur (Université Paris XII Val de Marne/cours de janvier 2008), nous rappelle qu’il existe différents foyers de sens à la responsabilité. Il propose d’ailleurs cinq verbes d’action pour résumer ces 5 foyers de sens.

Être responsable :

  • c’est transmettre (notion de dette) ;
  • c’est rendre des comptes (notion de culpabilité) ;
  • c’est agir (notions de commencer, d’être à la hauteur, de délibérer) ;
  • c’est protéger (notions de fragilité, de vulnérabilité) ;
  • c’est promettre (notion de décider de quelque chose dans le futur et de s’y tenir.

Ce sont ces cinq foyers de sens que je vous propose de mettre en lien avec le petit bébé qui reposait sur le bord de la bassine en en fer.

Être responsable, c’est transmettre

Ce foyer de sens repose sur la responsabilité de la dette. C’est le plus archaïque. En Inde, à l’ère prébhramanique, l’on considérait qu’avoir des enfants, c’était se décharger du fardeau de la vie en transmettant à son tour la vie que l’on avait reçue. Dans ce moment de soin, on retrouve l’idée de transmission de la vie. Pourquoi ? Mais simplement parce que depuis plusieurs années, je tiens volontiers comme discours qu’il est préférable d’adopter des enfants plutôt que d’en faire soi-même puisqu’il y a un grand nombre d’orphelins sur cette terre… S’il le faut, j’adopterai cette enfant. Mais est-ce possible ?

Être responsable, c’est rendre des comptes

Ce foyer de sens repose sur le fait qu’il existe « un tribunal des âmes »… et qu’après la mort l’âme devra répondre devant des juges des choses accomplies ici-bas. Dans le moment de soin, l’action choisie sera menée jusqu’au bout des possibilités. Je vais tout essayer avec le biberon, juste avec la tétine, en ouvrant la tétine plus largement pour que cela demande moins d’effort. Je vais même un peu appuyer sur la tétine et prendre le risque - inadmissible - de la fausse route. Mais rien n’y fait. Tu ne tètes pas. Le compte à rendre est : j’ai tout essayé. Mais cela s’est traduit malgré tout par un échec.

Être responsable, c’est agir

Ce foyer de sens repose sur le fait qu’être responsable, c’est agir même si l’on est pris au milieu des événements. C’est situer la responsabilité comme capacité à décider, comme prise d’initiative, comme mise en œuvre. C’est initier le mouvement. Cependant, là, maintenant, on fait quoi ? Il y a urgence à faire ou ne pas faire. D’autant que « ne pas » faire, c’est la laisser mourir. Nous sommes au cœur de la responsabilité de l’action. Il faut agir, la conjoncture l’oblige même si l’on ne domine pas tous les tenants et tous les aboutissants de la situation.

Être responsable, c’est protéger

Ce foyer de sens est en lien avec la confrontation à ce qui est fragile, précaire, désarmé, désemparé et qui doit être protégé. Et qu’est-ce qui peut être plus fragile qu’un prématuré laissé pour mort sur le rebord d’une bassine dans l’infirmerie d’un camp de réfugiés. Alors que ce même prématuré devrait être protégé, choyé, soigné, pris en charge…

Bien sûr, si tu étais en France, dans une réanimation que je connais bien, tu n’aurais pas eu qu’un « peu d’infirmier ». Mais c’est toute la puissance hospitalière qui serait tombée à tes genoux. Tu aurais connu de vrais réanimateurs. On t’aurait mis en incubateur pour mieux réguler ta température. On t’aurait posé un cathéter ombilical ou central pour t’alimenter par voie parentérale jusqu’à ce que tu aies envie de téter. Mais avant d’aller superviser le centre de réalimentation dont j’ai la responsabilité, je lave cette petite fille. Je l’enveloppe dans du linge. Et c’est simplement une petite boîte lui servira de lit. C’est en réalité et au final une bien faible protection.

Être responsable, c’est promettre

C’est la capacité que tout homme a de décider de quelque chose pour son futur et de l’accomplir. Cela fait plusieurs mois, en France, que je participe à la prise en charge de prématurés qui lui ressemblent, dans une unité de réanimation néonatale. J’ai même choisi, il y a deux ans, de travailler en pédiatrie pour acquérir des connaissances et des compétences spécifiques qui je l’espère me seront particulièrement utiles, aujourd’hui dans ce pays en voie de développement. La promesse a été concrètement tenue, l’engagement dans l’humanitaire réalisé, mais « tu es partie le lendemain », seule, précédant les centaines d’enfants qui te suivront, ensemble, dans quelques semaines. La promesse s’est trouvée écrasée par un gigantesque empilement de décès, un gigantesque empilement de cadavres.

Et c’est ça, au bout du compte que les soignants vivent en permanence, de façon récurrente. Et c’est ça qui fait que certains parmi nous quittent les soins, massivement et prématurément (c’est le cas de le dire).

Transmettre à votre tour !

C’est à l’éclairage de ce concept de responsabilité et de ses cinq figures de sens, toutes tour à tour interpellées, que ce moment de soin peut dorénavant mieux retourner, à son rythme, vers la Somalie. La responsabilité du faire savoir est maintenant engagée. Sa mise en œuvre doit permettre d’éclairer d’autres énoncés de situations de soins. Mais la responsabilité soignante ne se limite pas à l’acte soignant, elle s’invite aussi dans le management soignant.

Comme démontré précédemment, la reviviscence d’un moment de soin très éloigné et complexe et l’apport en philosophie des cinq figures de sens du concept de responsabilité permettent de montrer le haut niveau d’intrication entre responsabilité et acte de soin. Cette responsabilité vécue dont le soignant est porteur n’est que rarement reconnue parce que le plus souvent non connue. Ce moment de soin, qui passe aujourd’hui du statut d’inénarrable à celui de modèle analysé, essaie de montrer à chacun d’entre nous, soignants paramédicaux, qu’il est temps - et possible - de faire connaître notre réalité des soins pour nous faire mieux reconnaître. À votre tour !

Sans doute avez-vous vécu des moments de soins qui interpellent en tout ou partie les cinq foyers de sens précités du concept de responsabilité. C’est à vous de les partager maintenant !

Mais au-delà de l’éclairage, j’ai quelque chose à ajouter. Il concerne la mise au secret. Ici, la mise au secret repose en grande partie sur le regard de l’autre. Il repose sur un « on ne me croira jamais ». Mais ce « on ne me croira jamais » repose à son tour sur un « j’y crois pas » comme disent les jeunes. En fait, je n’y crois pas moi-même parce que ce que je pense réellement de ce moment, c’est que cette histoire, c’est la convocation à un acharnement mortel sur un nouveau-né par essence même innocent. C’est ça que je n’arrive quasiment pas à dépasser. Il y a deux niveaux en fait. Le premier, c’est l’acharnement de la mort sur ce bébé. Et le deuxième, ce n’est pas seulement : j’y étais. J’ai vu. C’est « j’y étais », pas dans le sens « j’y étais fortuitement », mais dans le sens « j’y étais convoqué ». Et là, on est bien d’accord que c’est de l’interprétation, mais c’est mon interprétation, mon ressenti, mon vécu. Bien sûr, il ne faudrait pas à cause d’une interprétation, d’un ressenti, d’un vécu, basculer du côté « obscur »… En fait, j’ai été choqué par l’acharnement fatal devant lequel j’étais impuissant. Et j’imagine que si j’ai ressenti ça une fois, aussi fortement, je ne suis pas le seul à le ressentir. Et là, je pèse bien la détresse ou la solitude de certains soignants. Il faut témoigner de tout cela. Parce qu’on n’est pas « dingue ». C’est du travail. C’est de l’invisible au travail. C’est de l’indicible ! Alors, il faut se faire violence pour oser dire !

Note

  1. Larousse. Dictionnaire de poche English French. Paris. Éditions LAROUSSE – BORDAS, 1999, p. 136 : To gasp : Haleter.
  2. Jean-François Claude, L’éthique au service du management, Concilier autonomie et engagement pour l’entreprise, Édition Liaisons, Paris, Septembre 2002, Chapitre III : Notre responsabilité face aux conséquences de notre conduite, p 102.

Philippe GAURIER
Cadre supérieur de santé,
Chargé de mission « Formation et recherche », hôpitaux universitaires Paris Ile-de-France Ouest
PEPS-Formation - http://pepsoignant.com/
Rédacteur Infirmiers.com
Infirmier.philippe@wanadoo.fr
www.etre-infirmier-aujourdhui.com


Source : infirmiers.com