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HUMOUR

Amour, gloire et bétadine - Urgences : 1 / Pompes funèbres : 0 !

Publié le 03/09/2012
Amour, gloire et bétadine - Urgences : 1 / Pompes funèbres : 0 !

Amour, gloire et bétadine - Urgences : 1 / Pompes funèbres : 0 !

Vous avez adoré ses abécédaires « caustiques », vous adorez désormais ses chroniques « déglinguées » que vous attendez avec impatience. L'infirmier Didier Morisot s'invite sur nos pages et, sans nul doute, nous sommes nombreux à partager le menu... Bon appétit avec aujourd'hui une chronique toujours aussi décapante et désopilante intitulée « Urgences : 1/ Pompes funèbres : 0 ! ».

Coucou les p’tits loups, comment ça va bien ? C’est la rentrée, youpi… Je suis sûr que vous êtes ravis d’avoir tourné la page du camping sous la pluie et des plages squattées par les méduses urticantes. Bonheur…, sans parler de ceux qui ont choisi la montagne ! Des heures de marche à transpirer comme un fennec, en côtoyant des chiens de berger n’ayant absolument aucun sens de l’humour. Et un mollet, un…

Ah, quel plaisir de retrouver son petit nid douillet : les horaires de travail décalés, les embouteillages, le journal de 20 h décrivant l’humanité en marche vers un avenir radieux, la troisième tranche de l’impôt sur le revenu, suivie par la taxe foncière et les impôts locaux. Elle est pas belle, la vie…?

Afin de me mettre au diapason de ce climat joyeux et enthousiaste, je vous propose une petite histoire (vécue), un grand moment de communion nationale, festif et fraternel ; ma modeste contribution pour renforcer davantage encore l’optimisme général dans lequel nous baignons tous depuis des années. Je fais donc marcher ma mémoire et je remonte le temps. Cap sur l’année 1998 avec l’Evénement national qui va avec. Ça vous dit quelque chose ? Bref, il était une fois, en 1998, le service d’urgences d’une petite ville de province…

1998 : nos footballeurs n’avaient pas les pieds carrés !

Qu’on le veuille ou non, les infirmières sont aussi (et surtout!) des femmes. Toutefois, ce particularisme (charmant par ailleurs) n’est pas sans conséquences. Il induit en effet des phénomènes biologiques à types de grossesse, permettant à l’espèce humaine de croître, multiplier et de saccager allègrement la terre qui la nourrit. Mais il provoque aussi des dégâts collatéraux insidieux... Outre des envies subites de fraises à la crème à 4 h du matin et la perplexité de l’heureux mortel partageant la vie de madame, il torpille également l’organisation hospitalière de manière récurrente. Ainsi, lorsque ma collègue Stéphanie est tombée enceinte…

J’adore cette expression, on dirait une chute avec un risque de fracture.
Mais revenons à nos moutons… Lorsque ma collègue a donc décidé de participer, elle aussi, à l’extension de l’espèce humaine, je n’ai pas vu venir le coup de grisou. Sa grossesse lui donnant quelques soucis, il était hors de question de la faire travailler en nocturne avec un tour de taille en dilatation instable. Le planning de la boutique d’alors ressemblant à un gros sac de noeuds, on m’a proposé deux semaines de nuit supplémentaires en juillet. J’ai bien sûr accepté avec empressement, rempli de compassion envers ma camarade. Je n’avais en effet aucun projet pour le début de l’été, du moins pas encore.

Il faut dire que (avec une majorité de Français) mon loisir préféré est l’auto-flagellation nationale. Je n’aurai donc jamais imaginé voir la France en finale de la Coupe du Monde. Mais cette année-là, nos footballeurs n’avaient pas les pieds carrés ! Mais de là à nous faire le coup du bourricot en train de gagner le Prix d’Amérique à l’hippodrome de Longchamp…

« J’ai raté la tête de Zidane, mais pas la vessie de Mr Damoclès. L’urine coule à flots. »

Une ambulance vient nous agresser...

12 juillet 1998, donc. Pendant que Stéphanie gère le déplacement problématique de son centre de gravité, j’arrive à l’hôpital en essayant d’assumer mon amour tout neuf du ballon rond. J’enfile la blouse en traînant la patte. Quel crétin pour travailler un jour pareil ! Mais je ne suis pas le seul et je retrouve mes collègues d’astreinte, nominés comme moi au festival de la bobologie, agglutinés devant le poste. Le sacrifice que nous faisons pour le maintien du service public est cependant adouci par une franche convivialité. Le moment est historique et les appareils médicaux sont remplacés par des ustensiles nettement plus récréatifs : crécelles, cornes de brume, confettis… Si le téléphone du SMUR vient à sonner, j’arrive à douter que nous puissions l’entendre dans ces conditions. Mais après tout, ce n’est pas comme si nous étions un service d’urgences…

La soirée commence donc avec une certaine décontraction. Les salles de soins sont vides, les malades potentiels ayant le tact de rester chez eux afin de faire la même chose que nous. Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’un asocial détestant le sport. Mais cette épée de Damoclès, à laquelle personne ne veut penser, a le bon goût de nous laisser voir le début du match sans nous les briser.

- 21 h 00. Les 80 000 spectateurs du Stade de France et les 10 nominés d’astreinte se lèvent pour saluer le coup d’envoi.
- 21 h 05. Nous sommes encore debout, en train de crier devant la télé. Hors de ce contexte, on serait tous bons à enfermer.
- 21 h 10. L’équipe de France se surpasse grâce à nos encouragements.
- 21 h 15. L’épée de Damoclès nous fout toujours la paix. Elle a plutôt intérêt.
- 21 h 20. Les 80 010 spectateurs se rassoient. Quand même.
- 21 h 22. Emmanuel Petit a la bonne idée de tirer un corner, la balle rebondit sur la tête de Zidane qui s’en débarrasse dans les buts de Roberto Carlos. Je te raconte pas l’ambiance autour du poste…
- 21 h 24. Le niveau sonore repasse de 115 à 90 décibels. Un peu de calme, ça fait du bien…
- 21 h 28. Damoclès et son épée de naze nous tombent dessus. Une ambulance nous agresse en se garant devant le service ! Si c’est pas de la provocation…
- 21 h 29. J’ai autant envie d’aller à sa rencontre que de flirter avec une mygale, mais je n’ai pas le choix. L’épée en question, de sexe masculin, est âgée de 70 ans et pèse dans les 110 kg. Ceci dit, là n’est pas le problème, sa visite est plus motivée par un trouble respiratoire majeur, identifié par le médecin traitant comme un œdème du poumon.
- 21 h 29 et 30’’. Aidé par Jean-Luc, ravi, j’installe le monsieur en Salle 1. Il n’est pas très en forme. En fait, vu l’engorgement de son système circulatoire, il est en train de se noyer. Je vais chercher le responsable de la brigade fluviale.
- 21 h 31. Fabrice pose sa corne de brume…
- 21 h 33. Thuram, Lizarazu et Cie maintiennent la pression.
- 21 h 35. La dite pression est trop élevée chez Mr Damoclès, nous la diminuons selon un protocole bien défini.
- 21 h 40. Le dit protocole prévoit un sondage urinaire inclus dans le forfait.
- 21 h 44. Le résultat du sondage est positif, le sac commence à se remplir.
- 21 h 45. Le niveau sonore autour du poste repasse à 115 décibels. Zidane s’est encore débarrassé du ballon. Dans les tribunes, la bière coule à flots.
- 21 h 47. J’ai raté la tête de Zidane, mais pas la vessie de Mr Damoclès. L’urine coule à flots. Les nominés d’astreinte également. C’est la mi-temps et un vague sentiment de culpabilité les pousse en Salle 1. Mr Damoclès étant toujours fatigué, leur présence est la bienvenue. Pendant qu’à la télé, toutes les marques de France et de Navarre se proclament partenaires des Bleus, nous essayons de ne pas devenir le fournisseur officiel des pompes funèbres municipales.

« Un extra-terrestre allergique au football débarque à l’accueil. Il me dit souffrir d’une verrue plantaire depuis une semaine. Je suis fier de moi car je réussis à lui répondre sans l’insulter. »

Emmanuel Petit crucifie Roberto Carlos...

Avec une conscience extrême du temps qui passe, la brigade fluviale se déchaîne. Tel un commando anti-OGM sur une parcelle de maïs transgénique, la manip radio et le médecin de garde fondent sur leur victime. Bientôt, le maïs est par terre et le paysan est furax. Mais le patient va bien mieux, c’est l’essentiel.

- 22 h 00. Reprise du match. L’équipe à José Bové arrête le fauchage.
- 22 h 05. Mr Damoclès n’est plus essoufflé. Par contre, les Brésiliens et la France Black Blanc Beur le sont à nouveau.
- 22 h 08. La famille de notre invité déboule aux urgences. Son fils a l’air soucieux. Je m’apprête à le rassurer en lui confirmant les deux buts d’avance, mais quelque chose me retient, un éclair de lucidité, peut-être ?
- 22 h 11. Un extra-terrestre allergique au football débarque à l’accueil. Il me dit souffrir d’une verrue plantaire depuis une semaine. Je suis fier de moi car je réussis à lui répondre sans l’insulter.
- 22 h 12. J’informe Fabrice de l’arrivée du roi du gag qui a mal au pied. Il laisse sa crécelle et va aux nouvelles. Je suis fier de lui car il l’examine sans lui mettre une tarte. Il y a effectivement une verrue près du gros orteil, mais le diagnostic principal relève plus de la psychiatrie ou du handicap mental.
- 22 h 14. Notre comique retourne à l’Académie du rire avec un rendez-vous de consultation en chirurgie. Heureusement, il n’insiste pas pour être opéré le jour même. Il échappe ainsi à une lobotomie certaine.
- 22 h 25. Dessailly joue au maillon faible et se fait virer du terrain. Un frisson d’angoisse parcourt l’assemblée.
- 22 h 31. Fabrice récupère le bilan sanguin de Mr Damoclès, il enlève son nez rouge, son chapeau pointu et va parler à la famille postée en salle d’attente.
- 22 h 33. Fabrice revient en courant, après avoir autorisé Damoclès junior à quitter le banc de touche. Je rejoins celui-ci auprès de son père, puis reprends mes navettes entre la Salle 1 et le Stade de France. A force de cavaler, moi aussi je suis essoufflé.
- 22 h 45. Fin du temps réglementaire. Le frison d’angoisse fait ses valises.
- 22 h 47. Cerise sur le gâteau : Emmanuel Petit crucifie Roberto Carlos en marquant un troisième but.
- 22 h 48. Nous sommes champions du monde ! Fabrice et Jean-Luc montent sur la table, Chirac grimpe dans les sondages. Au passage, il embrasse Jospin et ses petits camarades de la tribune présidentielle. José Bové et le propriétaire du champ de maïs font la même chose. Le football sert au moins à ça…

« Je reprends mes navettes entre la Salle 1 et le Stade de France. A force de cavaler, moi aussi je suis essoufflé ! »

On est les champions , on est les champions !

Mes souvenirs d’après match sont confus : beaucoup de bruit, une fausse alerte cardiaque, quelques pochtrons assez joyeux… J’aperçois Roberto Carlos venu prendre un rendez-vous auprès d’un chirurgien, mais pas à cause d’une verrue plantaire. Il serait plutôt demandeur d’une opération esthétique, afin de ne pas être reconnu à sa descente d’avion au Brésil…

- A 7 h 10, je sors de l’hôpital, aphone. Il y a du monde plein les rues, pas forcément en position verticale. Ceux qui sont assis dans leur voiture klaxonnent avec le slip sur la tête… tandis qu’à Rio, les psychiatres font des heures sup’ ! Une vague de dépression s’abat sur la population brésilienne.
- 7 h 30. Je mets la viande dans le torchon. Simone me demande si je connais le résultat final. Un peu que je suis au courant... Urgences : 1/ Pompes funèbres : 0 ! On est les champions, on est les champions…

Didier MORISOT
Infirmier en Saône-et-Loire
didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com