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HUMOUR

Amour, gloire et bétadine – La java des chrysanthèmes...

Publié le 12/11/2012
La java des chrysanthèmes

La java des chrysanthèmes

Vous adorez ses abécédaires « caustiques » et ses chroniques « déglinguées… L'infirmier Didier Morisot s'invite sur nos pages et, sans nul doute, nous sommes nombreux à partager le menu... Bon appétit avec aujourd'hui une chronique de saison, toujours aussi décapante et désopilante intitulée « La java des chrysanthèmes ». Attention, ça dépote !

Bien que notre hôpital ait été fondé aux temps des croisades, nous bénéficions à l’intérieur de tout le confort moderne. En plus de l’eau courante et du chauffage central, nous avons un micro-ondes, une machine à café et même un distributeur de peaux de bananes particulièrement efficace… Ce matin, d’ailleurs, Antoine - le collègue ambulancier - a eu l’idée d’appuyer sur le bouton « méga plus »... Au niveau des emmerdes, il s’agit de l’option maximum, l’équivalent d’un iceberg pour le Titanic ou de la visite d’une belle-mère à l’improviste, un soir de match. Une catastrophe, quoi.

Un client reste un client... quoi que !

L’après-midi avait pourtant bien démarré. Je revois mon camarade aller au funérarium en sifflotant, pour un départ de corps… Oui, un corps c’est comme un train, un chagrin d’amour ou une verrue plantaire, ça finit par s’en aller, un jour ou l’autre… Bref, Antoine, (grassement) rémunéré pour organiser les fermetures de cercueils, a donc rempli sa mission, comme d’habitude, avec une conscience professionnelle sans faille… Hélas, la famille présente pour l’occasion a vite manifesté, outre une (logique) tête d’enterrement, une certaine perplexité. Apparemment, le teint mat du défunt, ainsi qu’une calvitie inhabituelle, ne correspondaient pas à l’image qu’ils avaient du disparu.
Leur surprise était d’autant plus légitime que le fait de trépasser ne vous modifie pas instantanément : quand on a le teint clair et le cheveu dru, frigo ou pas, on garde tout ça en l’état pour un petit moment…
Il y avait donc du relooking dans l’air et les proches ne reconnaissaient pas leur défunt. Ce qui fait désordre dans un tel endroit… Impossible d’invoquer une influence extérieure, il n’y a pas de lampe à bronzer au funérarium et le scalp n’est pas une pratique courante au sein de l’hôpital. Aïe, donc… En fait, le mystère a vite été éclairci… Vous allez rire, messieurs dames. On s’est trompé de client, voilà tout. C’est ballot, hein ? Le problème, c’est qu’il n’y a personne d’autre dans les frigos. Aïe, aïe, aïe…

« Le fait de trépasser ne vous modifie pas instantanément : quand on a le teint clair et le cheveu dru,
frigo ou pas, on garde tout ça en l’état pour un petit moment… »

« C’est pas vrai… faire des erreurs aussi connes… »

Antoine a vécu alors un moment intense de sa vie professionnelle, un grand moment de solitude… comprenant qu’il avait inversé le corps de l’après-midi avec celui du matin (où personne n’assistait à la fermeture). Il a donc expliqué l’embrouille à la famille et sa colère a été à la hauteur de son chagrin. Appréciant peu le comique de la situation, elle a envisagé pour le collègue une reconversion radicale. Plus précisément, Antoine s’est vu vertement conseillé d’aller garder les oies ou de manger du foin au petit-déjeuner, activités pour lesquelles l’obtention d’un diplôme n’est pas obligatoire… ; l’employé des pompes funèbres et le policier d’astreinte, présents lors du remontage de bretelles, se concentrant alors sur la fissure du plafond. Très pratiques, les fissures ; on ne les remerciera jamais assez.
La révolte a tourné à l’émeute, se faisant entendre jusqu’aux urgences. Tout naturellement, nous sommes allés voir, découvrant une situation d’une limpidité virginale : un défunt à l’horizontale (très paisible) et un groupe de manifestants à la verticale (très en forme…). La suite a été d’une logique administrative imparable. Pendant qu’Antoine négociait sa reconversion dans l’agriculture extensive, je téléphonais aux autorités compétentes afin de les faire rire un peu, elles aussi. En l’absence du chef de service, j’ai eu la joie de parler au directeur du personnel qui n’a pu s’empêcher de lâcher une expression que ma morale judéo-chrétienne m’interdit de retranscrire ici. De toutes façons, les gros mots ne survivent pas au filtre de Bernadette Fabregas, la redoutable et vigilante rédactrice en chef d’Infirmiers.com bbrrr…

Bref, le brave homme est venu aux nouvelles, débarquant avec la tronche du commandant de pétrolier à l’origine d’une marée noire : joyeux, mais sans plus. A l’écart des récifs, je lui ai résumé le naufrage, ce qui l’a fait réagir à nouveau… « C’est pas vrai… faire des erreurs aussi connes… » Effectivement, on aurait pu faire un effort et pondre des conneries intelligentes. Ceci dit, on avait échappé au pire, le défunt du matin étant voué à l’incinération. Comme il se retrouvait inhumé à la place de son camarade de l’après-midi, nous avions toujours la possibilité d’inverser le processus. Chose impossible dans le sens inverse, nos suaires n’étant pas en amiante ; je ne vous raconte pas le travail pour recoller les morceaux après une séance de lance-flammes…Cette erreur d’étiquetage au rayon frais a donc mis une certaine ambiance dans la boutique. Pendant que le DRH montait en première ligne au contact des émeutiers, nous rapatrions le collègue à l’office. Nous devions en effet le préparer en vue de l’épreuve suivante... Le directeur de l’hôpital, mis au courant par radio couloir, attendait des explications dans son bureau. Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe… non, pas ce soir chérie ; j’ai mal au crâne…

« Un stage de rééducation chez un brasseur du nord de la France...
quand on se plante comme ça pour une mise en bière, impossible de refuser… »

Un court séjour au cimetière...

Antoine a fumé sa cigarette, bu son verre de rhum et s’est dirigé lentement vers l’échafaud… euh non, plutôt vers l’ascenseur. Puis, nous avons observé une minute de silence à la mémoire de son avancement d’échelon, avant de retourner dans la fosse aux lions. En fait, l’ambiance s’était légèrement détendue, notre supérieur hiérarchique ayant déployé des trésors de diplomatie qui commençait à porter leurs fruits… Une cellule de crise a ensuite été formée, en concertation avec la police et les pompes funèbres. L’exhumation du premier corps, décidée en urgence, s’est organisée dans la foulée… Nous avons aperçu Antoine revenant (discrètement) de la cérémonie des Oscars. Un sourire de chien battu semblait vouloir dire qu’il avait sauvé sa peau. Ouf… nous avons appris par la suite que le directeur lui avait proposé un stage de rééducation chez un brasseur du nord de la France, quand on se plante comme ça pour une mise en bière, impossible de refuser…
En attendant, il fallait récupérer l’imposteur dans le cimetière de la commune. La police (très perspicace) a réussi à localiser le squatteur en un temps record. Aidée par Jojo le fossoyeur, elle a appréhendé le suspect dans le respect scrupuleux de la procédure. « Bonjour… vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous… nous vous soupçonnons d’avoir usurpé l’identité de Mr x afin d’occuper son domicile, de façon illégale… »

Le transfert a eu lieu sous bonne escorte. Le tour-opérateur des pompes funèbres a rapatrié son client après ce circuit « découverte de la France profonde » et tout le monde a été soulagé, mis à part le gardien du cimetière, un poil vexé. En effet, d’habitude ses pensionnaires sont plutôt satisfaits des prestations et n’abrègent pas leur séjour aussi brutalement. ppfff… Les chrysanthèmes, par contre, étaient ravis, peu habitués à voyager autant, ils ont goûté pleinement l’exotisme de la situation…

« La journée s’est terminée. D’ailleurs, elles se terminent toujours depuis des milliards d’années,
et il n’y avait aucune raison pour qu’il en soit autrement. »

Y a pas mort d’homme...

De retour à la morgue, Antoine et son collègue du SMUR ont remis les choses en ordre. Le touriste a été sorti du caisson et remis au frigo en attendant sa (dernière) destination. L’aspect embêtant de l’affaire se situait en fait du côté de la chaîne du froid : il y avait eu rupture de continuité, mais la répression des fraudes a fait preuve d’une bienveillante compréhension…
Dans un angle mort, nous avons aperçu le directeur des pompes funèbres en train d’inspecter la boite, vidée de son contenu. Le pauvre homme tordait du nez en examinant les rayures sur la carrosserie. Au bord des larmes, il consultait « L’argus des cercueils 2011 », conscient de la difficulté à revendre une pièce d’occasion. On a pas des métiers, c’est moi qui vous le dis…

Sur ce, la journée s’est terminée. D’ailleurs, elles se terminent toujours depuis des milliards d’années, et il n’y avait aucune raison pour qu’il en soit autrement. Bref, Antoine, déjà sensibilisé au problème du tri sélectif, l’était plus que jamais et se réconfortait en buvant un café, entouré par l’équipe du soir…

Moralité : il n’y en a pas. Perdre quelqu’un est une épreuve douloureuse et le chagrin des proches est infiniment respectable. Mais d’un autre côté, seuls les vivants font des conneries. Et en l’occurrence, il n’y a pas eu mort d’homme…

Moralité, mort alité !

Didier MORISOT
Infirmier en Saône-et-Loire
didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com