L’Observatoire français des Médicaments antalgiques (OFMA) et l’unité Inserm Neuro-Dol ont publié récemment les chiffres de délivrance aux Français des médicaments antidouleurs opioïdes et l’évolution des intoxications et décès associés.
La consommation de ces médicaments, à l’origine d’une grave crise de santé publique aux États-Unis, où l’addiction et les overdoses ont explosé, est en forte progression dans notre pays. Chaque année, ces médicaments sont délivrés en pharmacie de ville à 12 millions de Français. Comment éviter de subir les mêmes conséquences sanitaires ?
Des millions d’Américains touchés par la crise des opioïdes
Les antidouleurs opioïdes regroupent tous les médicaments qui agissent sur les mêmes récepteurs cérébraux que la morphine, en bloquant la transmission du message douloureux au cerveau.
Ces médicaments sont en grande partie à l’origine de la crise sanitaire des opioïdes aux États-Unis. Selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), 12 millions d’Américains seraient dépendants à ces composés, qui seraient responsables de plus de 45 000 décès annuels par overdose accidentelle. Des addictions et overdoses qui touchent toutes les classes socio-économiques.
À l’origine de ce phénomène, des prescriptions excessives et inadaptées de fentanyl et d’oxycodone, accompagnées d’une promotion pharmaceutique mal maitrisée par les autorités sanitaires américaines. Les conséquences de cette catastrophe sanitaire sont multiples : une baisse de l’espérance de vie, un impact économique estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars, un nombre de décès plus élevé que celui causé par les armes à feu ou par les accidents de la route, et le développement d’une génération d’orphelins, enfants dont les parents sont décédés d’une overdose après être devenus dépendants.
Les sujets âgés, plus fréquemment concernés par les douleurs chroniques, seraient de plus en plus touchés par la crise des opioïdes.
L’accès à ces médicaments antidouleur est désormais difficile aux États-Unis, ce qui pousse les personnes devenues dépendantes à se procurer des opioïdes dans la rue, et notamment des dérivés illicites du fentanyl. Ceux-ci envahissent le marché de la drogue en Amérique du Nord. Très puissants, ils sont à l’origine de la majorité des cas d’overdoses mortelles par arrêt respiratoire.
En France, une situation à surveiller
À la consultation pharmacodépendance du CHU de Clermont-Ferrand, pas une semaine ne s'écoule sans recevoir de patients devenus dépendants à ces médicaments.
Pierre, 59 ans, a été traité par du fentanyl à action immédiate pour une sciatique. Il a rapidement présenté une addiction à ce médicament, l’obligeant à multiplier les prescripteurs, quadruplant les doses quotidiennes maximales.
Sophie, 24 ans, a trouvé dans le tramadol, suite à sa rupture sentimentale, une béquille psychologique
qui lui a rappelé les effets apaisants du cannabis, avant de ne plus pouvoir s’empêcher d’en consommer en excès.
Cécile, 51 ans, a progressivement et inconsciemment mis en place une automédication de sa dépression chronique avec de la codéine jusqu’à développer une addiction sévère avec une consommation de plus de 40 comprimés par jour.
Sylvain, lui, a rencontré la morphine à la suite d’un accident de moto. Elle a soulagé sa douleur, mais surtout lui a fait du bien à la tête
. 15 ans plus tard, le tramadol prescrit depuis sa sortie de l’hôpital a pris le relais et soulage bien plus son anxiété chronique que sa douleur, mais à raison de 15 comprimés par jour, dont une grande partie achetée sur Internet.
La crise n’a pas encore atteint la France, mais la situation est à surveiller, comme en témoignent les chiffres révélés par l’étude de l’Observatoire français des médicaments antalgiques.
Trois fois plus d’hospitalisations pour overdose depuis 2000
En 2017, un million de Français ont reçu une délivrance d’un antalgique opioïde dit fort, soit deux fois plus qu’en 2004. L’oxycodone (Oxycontin, Oxynorm) et le fentanyl (Durogesic, Actiq, Abstral, Instanyl…) sont particulièrement concernés par cette hausse de prescription ainsi que, plus modestement, la morphine.
Le nombre de Français traités par tramadol (Topalgic, Contramal, Ixprim, Zaldiar), codéine (Codoliprane, Dafalgan codéine, Klipal, Prontalgine) ou poudre d’opium (Lamaline, Izalgi) a plus que doublé depuis l’annonce du retrait du marché du dextropropoxyphène (Diantalvic), en 2011. Neuf patients sur dix traités par antidouleurs opioïdes ne souffrent pas d’une pathologie cancéreuse.
Parallèlement à ces évolutions de prescriptions, il a été observé depuis 2 000 une hausse significative non seulement des hospitalisations pour overdose accidentelle (+167 %, au moins 7 intoxications par jour), mais aussi une augmentation des décès imputables à ces molécules (+146 %, soit au moins 4 décès par semaine).
Des innovations marketing plus que thérapeutiques
Plusieurs facteurs expliquent en partie cette hausse des prescriptions. Certaines sont médicales : volonté de mieux prendre en charge la douleur sévère, qu’elle soit associée au cancer ou pas (arthrose du genou ou de la hanche pour les opioïdes forts), efficacité partielle des autres antalgiques et prévention insuffisante des douleurs chroniques.
D’autres sont commerciales, avec l’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments comme l’oxycodone au début des années 2 000 ou la reformulation d’anciens médicaments (poudre d’opium, tramadol) et le développement de nouvelles formes pharmaceutiques à action rapide (fentanyl). Ces différentes évolutions ont permis à ces médicaments de bénéficier d’une promotion par les laboratoires pharmaceutiques auprès des professionnels de santé et d’en favoriser les prescriptions.
Prévenir une crise évitable
Cette étude française conclut à l’émergence d’un signal de risque d’augmentation des overdoses aux antidouleurs opioïdes.
L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) assure déjà la surveillance de ces médicaments via son réseau d’addictovigilance qui présente annuellement des rapports sur chaque substance. Une journée d’échange de la commission des stupéfiants et psychotropes sur ce thème a été organisée en mai 2017 et devrait donner lieu à une proposition de plan d’action.
Concernant les prescripteurs, la juste prescription des antalgiques est accompagnée de recommandations comme celles publiées en 2016 par la Société française d’Étude et de Traitement de la Douleur. Ces recommandations devront aussi à l’avenir concerner les opioïdes dits faibles
, majoritairement prescrits.
L’élargissement probable des prescriptions de méthadone comme antalgique dans le cancer devra être associé à une vigilance accrue sur cette substance, déjà impliquée dans des cas de décès chez des usagers de drogues.
Il est par ailleurs important de rappeler aux professionnels de santé de rechercher systématiquement des facteurs de risque avant instauration de ces traitements et des usages à risque de ces médicaments.
Enfin, une information orientée vers les patients doit aussi être mise en œuvre régulièrement, en partenariat avec les associations de patients, pour promouvoir le bon usage des antalgiques, y compris en lien avec les pratiques d’automédication.
Antidote et alternatives
Pour réduire la mortalité par overdose et sensibiliser les patients au risque, une mise à disposition de l’antidote des opioïdes, la naloxone, aux patients douloureux chroniques traités par ces médicaments devra être envisagée dès que ces derniers seront disponibles en pharmacie.
En l’absence de nouveaux médicaments, une prescription de buprénorphine à visée antalgique, un opioïde à moindre risque d’overdose déjà disponible, pourrait aussi être proposée comme alternative avant certaines prescriptions d’antidouleurs opioïdes forts comme la morphine ou l’oxycodone.
Enfin, à plus long terme, des équipes de recherche, dont l’équipe Inserm Neuro-Dol de l’Université Clermont Auvergne, travaillent au développement d’alternatives médicamenteuses à la morphine présentant moins de risque d’addiction et d’overdose. Ces travaux, accompagnés par la Fondation de recherche Institut Analgesia, sont à l’origine de la création d’Innopain, une entreprise dédiée au développement de cette nouvelle classe d’antalgiques.
Nicolas Authier Médecin psychiatre, professeur, Université Clermont Auvergne
Cet article a été publié par The Conversation le 13 septembre 2018
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